A propos de l’arrêt CJUE, 9 novembre 2021, LW c. Bundesrepublik Deutschland, C‑91/20

Mathieu Rouy (doctorant contractuel, CEE-EDIEC EA 4185, Université Jean Moulin Lyon 3)

Un État membre peut-il, en vertu de dispositions nationales plus protectrices que la directive 2011/95, reconnaître à l’enfant mineur d’un réfugié un statut de réfugié dérivé aux fins du maintien de l’unité familiale, et ce, même si cet enfant est né dans l’État d’accueil, et possède par sa mère la nationalité d’un autre État tiers ? Telle était l’importante question à laquelle la grande chambre de la Cour de justice devait répondre dans l’affaire LW c. Bundesrepublik Deutschland du 9 novembre 2021.

LW est née en Allemagne en 2017, d’une mère tunisienne et d’un père syrien, et possède la nationalité tunisienne. Ce dernier a obtenu en octobre 2015 le statut de réfugié. Le 15 septembre 2017, l’administration allemande refuse la demande d’asile introduite au nom de LW, celle-ci étant selon elle manifestement infondée. Si le tribunal administratif annule la décision de l’administration allemande, il confirme toutefois l’impossibilité pour LW de bénéficier du statut de réfugié, dans la mesure où celle-ci ne craint aucune persécution dans son État de nationalité (la Tunisie donc). Toujours selon la juridiction, LW ne peut bénéficier de ce droit au titre de la protection de la famille du statut de réfugié, car une telle reconnaissance serait contraire au principe de subsidiarité de la protection internationale des réfugiés.

Statuant en appel de cette décision, la juridiction de renvoi confirme que LW ne peut en aucun cas bénéficier du statut de réfugié. Elle estime toutefois que la requérante pourrait satisfaire aux conditions du droit allemand lui permettant de se voir octroyer le statut de réfugié, à titre dérivé et aux fins du maintien de l’unité familiale. La juridiction de renvoi s’interroge toutefois sur la compatibilité d’une telle interprétation au regard de la directive 2011/95, et plus précisément de son article 23 qui régit la protection de l’unité familiale du réfugié, et l’article 3 qui permet aux États, sous certaines conditions, de prendre des normes plus favorables pour décider quelles sont les personnes remplissant les conditions d’octroi du statut de réfugié.

Aux termes d’une interprétation audacieuse et contraire à celle de son avocat général, la Cour de justice valide le dispositif législatif allemand. La solution de la Cour de justice se veut protectrice de l’unité familiale du refugié, et témoigne d’une vision large de la reconnaissance du statut de réfugié dérivé (I.), et d’une appréhension souple des réserves pouvant faire échec à une telle reconnaissance (II.).

I. Une vision large de la reconnaissance du statut de réfugié dérivé

La reconnaissance d’une protection internationale dérivée aux membres de la famille d’un réfugié aux fins du maintien de l’unité familiale n’a en soi rien de novatrice. Certes, une telle possibilité n’est prévue ni à la lettre de la Convention de Genève, ni aux termes de la directive 2011/95, ce que rappelle d’ailleurs la Cour de justice (§. 36). Pour autant, il est désormais acquis que « l’unité de la famille […] est un droit essentiel du réfugié » impliquant pour les États « de prendre les mesures nécessaires pour la protection de la famille du réfugié et en particulier pour […] [a]ssurer le maintien de l’unité de la famille du réfugié » (§. 42). 

Sur ce fondement, différents États ont permis la reconnaissance d’un statut de réfugié dérivé à certains membres de la famille du réfugié, parfois de manière automatique, et sans que ces membres ne craignent nécessairement d’être persécutés dans l’État d’origine du réfugié. C’est ainsi que le Conseil d’État a pu reconnaître, dès 1994, qu’un principe général du droit imposait la reconnaissance de la qualité de réfugié « à la personne de même nationalité unie par le mariage à un réfugié à la date à laquelle celui-ci a demandé son admission au statut, ainsi qu’aux enfants mineurs de ce réfugié » (CE, Ass., 2 déc. 1994, Mme Agyepong). 

La Cour de justice a reconnu dans l’affaire Ahmedbekova (CJUE, 4 oct. 2018, C-652/16), qu’aux termes de l’article 3 de la directive, les États peuvent prendre des mesures consistant « en un assouplissement des conditions auxquels est soumis l’octroi, à un ressortissant d’un pays tiers ou à un apatride, du statut de réfugié ou du statut conféré par la protection subsidiaire » (§. 70). Toutefois, un tel assouplissement ne doit pas mener à la reconnaissance d’un tel statut à une personne « dénuée de tout lien avec la logique de protection internationale » (§. 71). Or, selon la Cour, la reconnaissance automatique, en vertu de dispositions internes, du statut de réfugié à des membres de la famille d’une personne à laquelle ce statut a été octroyé n’est pas dénuée de tout lien avec la logique de protection internationale (§. 72).

L’arrêt commenté s’inscrit dans la continuité de cette affaire. Toutefois, deux difficultés pouvaient raisonnablement faire douter de la compatibilité du droit national au regard de la directive 2011/95. D’une part, LW est née en Allemagne et ne répond donc pas à la définition donnée par l’article 2 de la directive 2011/95 des « membres de la famille » du réfugié, cette formule ne visant que la famille « déjà fondée dans le pays d’origine ». D’autre part, LW possède, par sa mère, la nationalité tunisienne. Or, celle-ci ne risque aucune persécution dans cet État (par exemple, le Conseil d’État a refusé l’application du principe de l’unité de famille lorsque le conjoint demandeur peut se prévaloir de la protection d’un autre pays dont il a la nationalité ; voir CE, 23 fév. 2003, OFPRA c. M. Boularouf, n° 283246). De ce fait, pour l’avocat général, le législateur allemand est allé au-delà de la marge d’appréciation conférée par l’article 3 de la directive 2011/85 (§. 97 et s. de ses conclusions). 

la Cour va estimer que la reconnaissance automatique du statut de réfugié dérivé à l’enfant mineur d’un réfugié « indépendamment du fait que l’enfant satisfasse ou non individuellement aux conditions d’octroi dudit statut »

Contrairement à son avocat général, la Cour va estimer que la reconnaissance automatique du statut de réfugié dérivé à l’enfant mineur d’un refugié « indépendamment du fait que cet enfant satisfasse ou non individuellement aux conditions d’octroi dudit statut et y compris lorsque ledit enfant est né dans l’État membre d’accueil […] présente un lien avec la logique de la protection internationale » (§. 44). Si l’argumentation de la Cour est relativement laconique, notamment au regard de l’importance des éléments apportés par l’avocat général, la solution se veut résolument protectrice du statut de réfugié et de sa vie familiale et témoigne d’une vision large de la reconnaissance du statut de réfugié dérivé.

II. Une interprétation souple des réserves à la reconnaissance du statut de réfugié dérivé

La Cour de justice pose toutefois deux limites à une telle reconnaissance. Selon elle, en dépit du lien avec la protection internationale, « il peut y avoir des situations dans lesquelles une telle extension automatique […] serait […] incompatible avec la directive 2011/95 » (§. 45).

Tout d’abord, une telle extension ne saurait bénéficier à une personne qui est exclue du droit d’asile en vertu de l’article 12 § 2 de la directive. Cette première réserve s’entend aisément. Une personne entrant dans le champ des exclusions du statut de réfugié ne saurait bénéficier d’un statut de réfugié dérivé. En l’espèce, cette réserve était bien prévue dans le droit allemand.

La deuxième limite est tirée de l’article 23 § 2 de la directive. L’extension automatique de la reconnaissance du statut de réfugié doit être exclue lorsque que celle-ci serait incompatible avec le statut juridique personnel du membre de la famille concerné. Tel serait ainsi le cas d’un enfant mineur d’un réfugié qui posséderait la nationalité de l’État membre d’accueil ou tout autre nationalité – l’on pense à la nationalité d’un État membre – qui lui donnerait droit à un meilleur traitement dans l’État d’accueil. Une telle réserve paraît peu surprenante, et ce d’autant plus que la Cour de justice s’aligne sur la position du UNHCR. Là encore de manière relativement laconique, la Cour de justice estime que, sous réserve des vérifications qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi d’effectuer, il n’apparaît pas que la requérante relève d’une telle restriction, précisant que sa nationalité tunisienne ne lui donne pas droit à un meilleur traitement en Allemagne que celui résultant du statut de réfugié dérivé (§. 58).

En revanche, et cela constituera le seul point de convergence entre la Cour de justice et son avocat général, celle-ci refuse de prendre en compte l’existence – ou non – d’une possibilité raisonnable et acceptable, pour la requérante et ses parents, de s’installer en Tunisie, afin d’évaluer la compatibilité de la disposition nationale à la directive 2011/95. L’argumentation de la Cour de justice peut, sur ce point, étonner. En effet, la Cour européenne des droits de l’Homme (31 janvier 2006, Rodrigues da Silva et Hoogkamer c. Pays-Bas) a pu rappeler que l’article 8 CEDH « n’emporte pas une obligation générale pour un État de respecter les choix des immigrants de leur pays de résidence et d’autoriser le regroupement familial sur le territoire de ce pays ». A ce titre, la question de savoir s’il existe des obstacles insurmontables à ce que la famille d’un ressortissant étranger vive dans le pays d’origine d’un des membres de la famille est un élément à prendre en considération aux fins de la reconnaissance du regroupement familial. Néanmoins, la Cour de justice procède à une interprétation finaliste et estime que la raison d’être de l’article 23 de la directive est d’assurer le maintien de l’unité familiale sur le territoire de l’État d’accueil (§. 60 et §. 138 des conclusions). Or, dans une telle hypothèse, le père de famille renoncerait à son droit d’asile dans cet État pour s’installer en Tunisie. Dès lors, une telle constatation n’est « pas de nature à remettre en cause le constat selon lequel une telle législation n’est pas dénuée de tout lien avec la logique de protection internationale » (§. 61). 

La Cour de justice en conclut à la compatibilité du dispositif national à l’inverse de son avocat général. L’arrêt du 9 novembre 2021 apparaît in fine résolument protecteur du réfugié et de sa famille, et témoigne de la prise d’importance du principe de l’unité familiale du réfugié, tant dans l’Union qu’au sein des ses États membres.