Pascal Simon

Professeur agrégé d’économie gestion en CPGE

Doctorant en droit public

Université de Strasbourg

Le 8 mars 2022, la Commission avait proposé les grandes lignes d’un plan dont l’objectif affiché était de « rendre l’Europe indépendante des combustibles fossiles russes bien avant 2030 », comme l’une des réponses de l’Union européenne à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Lors du Conseil européen des 24 et 25 mars, les dirigeants de l’UE ont validé cet objectif et ont donc invité la Commission à présenter le plan détaillé REPowerEU. 

La Commission européenne a ainsi présenté le 18 mai 2022 le plan REPowerEU, qui doit être la réponse de l’Union aux conséquences, de la guerre russo-ukrainienne, sur les marchés mondiaux de l’énergie. Dans son communiqué de presse, la Commission fait le constat d’une double urgence à transformer le système énergétique européen : mettre fin à la dépendance de l’UE à l’égard des combustibles fossiles russes et lutter contre la crise climatique. En cela, ce plan se veut la continuité des autres politiques structurantes qui ont émergé après les élections européennes de 2019 avec le Pacte vert européen puis le plan de relance économique à la suite de la crise de la COVID.

« Faire la guerre à la Russie, sans la faire »

Les mesures prévues dans le plan REPowerEU entrent dans cette zone grise d’une Union européenne en conflit non armé avec la Russie. En réalisant des économies d’énergie, comme en diversifiant les approvisionnements énergétiques et en accélérant le déploiement des énergies renouvelables pour remplacer les combustibles fossiles dans les logements, l’industrie et la production d’électricité, l’Union européenne espère se défaire de sa dépendance aux gaz et pétrole russes.

La transformation écologique voulue par l’Union depuis 2019 concrétise, dans une série de textes, la volonté de transformer en interne comme en externe le rapport de force énergétique. Dans le conflit avec la Russie, la question environnementale devient une « arme » géopolitique tout comme elle a pu aussi être envisagée dans la nouvelle politique commerciale qui, dans la logique du Fit for 55, envisage un « ajustement carbone aux frontières » comme mesure protectionniste de l’économie européenne.

Il s’agit donc de renforcer dans un cadre cohérent, et le plus programmatique possible, la croissance économique, la sécurité et l’action climatique en Europe et chez ses partenaires. Pour cela, la facilité pour la reprise et la résilience (FRR) du 12 février 2021 va s’insérer dans le plan REPowerEU, par le soutien à la planification et au financement coordonnés des infrastructures transfrontalières et nationales, ainsi que des projets et réformes énergétiques. Les recommandations par pays prévues dans le cadre du cycle du Semestre européen pour 2022 devront intégrer ces nouvelles orientations.

Eviter sinon réduire la dépendance énergétique de l’Union européenne

Alors que l’Union européenne importe pour environ 100 milliards d’euros par an d’énergies fossiles, les économies d’énergie apparaissent comme la manière la plus pertinente de faire face à la crise énergétique actuelle et d’en réduire la facture. Sur le long terme, la Commission propose de renforcer les mesures visant l’efficacité énergétique quand, à plus court terme, elle veut promouvoir des changements de comportement susceptibles de réduire la demande en énergie et donc en énergie russe. 

Le 18 mai 2022, la Commission européenne dans une communication sur les économies d’énergie envisage l’ensemble des agents économiques devant consentir à l’effort dans cette crise qui dure depuis plus de trois mois. La question centrale de l’efficacité énergétique, l’une des principales sources d’économie, inclue tous les secteurs, que ce soit l’amélioration constante de l’habitat, notamment par la maitrise par les ménages de leur consommation d’énergie de chauffage, ou l’écologisation du transport de marchandises comme la micro-mobilité dans les zones urbaines par des livraisons par vélo-cargo. C’est aussi une réduction de la consommation de combustibles fossiles dans l’industrie et les transports incluant la poursuite du développement des carburants alternatifs pour le transport aérien ou le développement de la part des véhicules à émissions nulles dans les flottes de véhicules publics et d’entreprises au-delà d’une certaine taille.

Enfin, le dernier axe de cette politique énergétique, sous contrainte géopolitique, est de rendre encore plus actrices, les collectivités locales, villes comme régions, autorités régulatrices des transports. Il s’agit, par exemple, de promouvoir leur rôle dans la réduction de la vitesse sur les routes dont elles ont la charge comme d’accélérer la transition économique des régions charbonnières.

Pour accompagner cette tendance, que la Commission souhaite pérenne et ainsi devenir une modification fondamentale de notre système énergétique, la Banque européenne d’investissement est associée pour promouvoir la primauté technologique et industrielle de l’UE. Cet appui de la BEI, au travers du programme InvestEU, doit mobiliser des fonds privés, pour un partage des risques, dans le financement de domaines tels que l’énergie solaire et l’hydrogène et de fournir des orientations sur les énergies renouvelables et les accords d’achat d’électricité.

Sécuriser les approvisionnements et accélérer le déploiement des énergies renouvelables

Déjà, depuis la crise gazière de 2009, la Commission européenne s’engageait à développer le recours au gaz naturel liquéfié (GNL), un combustible plus facile à transporter et à stocker, afin de réduire la dépendance énergétique et assurer la sécurité de l’approvisionnement européen. Puis, la Commission avait poursuivi, en février 2016, une stratégie européenne pour le GNL et le stockage du gaz. Il en résulte que toutes les régions d’Europe continentale ont, actuellement, une connexion directe ou indirecte à un terminal de GNL, ce qui a permis de développer son importation depuis les États-Unis, devenus à la fin 2021, le premier exportateur mondial.

La dépendance européenne est donc un sujet qui est traité depuis quelques années mais qui devient, face au risque de coupure nette de l’approvisionnement russe, une crainte majeure. Ainsi, dans le but d’en accélérer la prise en compte, l’UE a mis sur pied, en avril 2022, une plateforme énergétique de l’UE, afin d’optimiser, non seulement l’utilisation des infrastructures, mais de bâtir, à l’image du programme commun d’achat de vaccins, un « mécanisme d’achat conjoint ». Il s’agit de négocier et conclure des achats de gaz ou d’hydrogène renouvelable pour le compte des États membres participants.

Aussi et dans le même temps, la stratégie énergétique extérieure de l’UE adoptée ce même 18 mai 2022 vise à faciliter la diversification énergétique et l’établissement de partenariats à long terme avec les fournisseurs, y compris la coopération dans le domaine de l’hydrogène ou d’autres technologies dites « vertes », telle que la biomasse. 

Ces nouvelles orientations sont prises sur fond de tensions accrues entre États membres quant aux sanctions prises à l’encontre de la Russie. Si les cinq premiers trains de sanctions n’avaient pas, particulièrement posé de problème, il en est autrement concernant la question de l’énergie alors que se rapprochait l’échéance d’une décision concernant les importations de pétrole après la décision approuvée par le Conseil d’un embargo à l’horizon d’août 2022 sur le charbon russe. Finalement, la réunion extraordinaire du Conseil des 30 et 31 mai 2022 a abouti à une considérable réduction des importations de pétrole russe, laissant de côté, temporairement, la question du pétrole brut livré par oléoduc

Un autre dossier plus consensuel porte sur une augmentation et une accélération massives de l’utilisation des énergies renouvelables dans la production d’électricité, l’industrie, les bâtiments et les transports. On peut relever la stratégie spécifique de l’UE en matière d’énergie solaire visant à doubler la capacité solaire photovoltaïque d’ici à 2025 d’ici à 2030.

La Commission a décidé d’accompagner cette transformation de notre mix énergétique en faisant une recommandation qui vise à lutter contre la lenteur et la complexité des procédures d’octroi de permis pour les grands projets dans le domaine des énergies renouvelables et une modification de la directive sur les énergies renouvelables, afin de reconnaître ces énergies comme relevant d’un intérêt public supérieur. La logique d’ensemble amène à penser que l’Union accroît ainsi le champ des « services d’intérêt économique général » (SIEG) tant il s’agit, ni plus ni moins, que d’accélérer les orientations prises depuis 2019 alors que la Commission autorisait sept États membres à lancer un projet paneuropéen de recherche et d’innovation des batteries électriques. Logiquement, la Commission souhaite mobiliser les règles de sa politique des aides d’État pour que les Projets importants d’intérêt européen puissent émerger et se concrétiser dans la vie quotidienne des européens.

Investissements intelligents, dernier bastion de cette protection offensive

La réalisation des objectifs du plan REPowerEU nécessite des investissements supplémentaires de 210 milliards d’euros d’ici à 2027. L’Union européenne veut y voir « un acompte sur notre indépendance et notre sécurité ». Le financement de ces investissements est gagé sur une économie de près de 100 milliards d’euros par an du fait de l’arrêt, sinon de la réduction conséquente, des importations de combustibles fossiles russes.

Dans la perspective de ce retour sur investissement, le plan REPowerEU peut compter sur 225 milliards d’euros issus de prêts au titre de la facilité pour la reprise et la résilience qui, par ailleurs, est d’ores et déjà augmentée de 20 milliards d’euros, sous la forme de subventions tirées de la vente de quotas du système d’échange de quotas d’émission de l’UE. Ce système, ainsi mobilisé, permet en effet de mettre aux enchères des droits détenus dans la réserve de stabilité du marché. La logique générale de l’opération semble correspondre à la réforme structurelle du système européen de quotas d’émission de gaz à effet de serre, initiée en 2009, qui déjà visait, non seulement de réduire les émissions et l’utilisation des combustibles fossiles, mais aussi de mobiliser les fonds nécessaires pour parvenir à l’indépendance énergétique.

Enfin, d’autres sources de financement sont prévues comme la politique de cohésion ou la politique agricole commune. Les réseaux transeuropéens d’énergie (RTE-E), dans le cadre du mécanisme pour l’interconnexion en Europe, qui avait déjà contribué à créer une infrastructure gazière européenne résiliente et interconnectée, doit compléter ce tour de table en mettant en place les infrastructures gazièresnécessaires qui demeurent encore sur la liste existante des projets d’intérêt commun (PIC)

Le plan REPowerEU se réclame d’être une réponse à la hauteur des enjeux géopolitiques mais aussi sociaux, tant les prix sur les marchés de l’énergie pèsent sur le pouvoir d’achat des européens. Les ambitions sont importantes et si elles aboutissent, vont œuvrer à une toute nouvelle approche énergétique européenne correspondant à sa recherche de souveraineté.