Yves PETIT, Professeur à l’Université de Lorraine (Faculté de droit de Nancy – Directeur du Centre européen universitaire de Nancy)
Attendue avec impatience tous les sept ans, en raison de son importance pour les agriculteurs de l’Union européenne et de sa place dans chaque cadre financier pluriannuel (CFP), la PAC pour les années 2023-2027 a été entérinée début décembre 2021. Les règlements qui forment l’ossature de cette nouvelle PAC viennent ont été publiés au Journal officiel de l’Union européenne le 6 décembre. Une première remarque s’impose : le nombre de règlements est passé de 4 à 3. Le premier de ces trois règlements établit « des règles régissant l’aide aux plans stratégiques devant être établis par les Etats membres dans le cadre de la PAC (plans stratégiques relevant de la PAC) … ». Innovation de la réforme, les plans stratégiques nationaux vont être financés par les deux fonds agricoles existants, le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et le Fonds européen agricole de développement rural (Feader), cette nouvelle approche donnant l’impression d’une fusion des deux piliers sur lesquels s’appuie la PAC jusqu’à aujourd’hui. Les deux autres règlements s’inscrivent dans la continuité de la précédente réforme de la PAC : le deuxième est le règlement « horizontal », relatif au financement, à la gestion et au suivi de la PAC ; le troisième est le nouveau règlement « Omnibus », regroupant les dispositions applicables à l’ensemble des produits agricoles (organisation commune des marchés des produits agricoles, systèmes de qualité des produits alimentaires, indications géographiques pour les produits vinicoles aromatisés, régions ultrapériphériques de l’UE et îles mineures de la mer Egée).
Lors de sa session du 2 décembre 2021, à la suite du Parlement européen du fait de l’application de la procédure législative ordinaire, le Conseil s’est félicité d’une nouvelle législation ouvrant « la voie à une PAC plus juste, plus verte et davantage fondée sur les résultats ». Une première analyse de ces trois textes, qui doivent être complétés par une législation dite « secondaire » composée d’un ensemble de règlements délégués et d’exécution, fait apparaître que la future PAC va se décliner en fonction de nouveaux objectifs (1), d’un système de paiements rénové (2), d’une nouvelle architecture écologique (3), le cœur de cette réforme pour les années 2023-2027 étant le plan stratégique national élaboré par chaque Etat membre, ce qui représente un changement structurel par rapport aux réformes précédentes (4).
1. Une politique agricole commune avec une déclinaison de nouveaux objectifs
Les objectifs de la PAC sont énoncés à l’article 39 TFUE, et ils n’ont jamais pu être modifiés depuis le traité de Rome de 1957. Ici, comme l’indique le considérant (22) du règlement relatif aux plans stratégiques nationaux, « pour concrétiser les objectifs de l’article 39 du TFUE, et pour faire en sorte que l’Union relève adéquatement les défis les plus récents auxquels elle est confrontée, il y a lieu de prévoir un ensemble d’objectifs généraux reflétant les orientations énoncées dans la communication de la Commission sur « L’avenir de la l’alimentation et de l’agriculture » ». Puis, « une série d’objectifs spécifiques devraient être en outre définis à l’échelle de l’Union et appliqués par les Etats membres dans leurs plans stratégiques relevant de la PAC (…) ».
Suivant cette démarche, ce sont les articles 5 et 6 du règlement relatif aux plans stratégiques nationaux qui fixent ces objectifs généraux et spécifiques, étant entendu que la réalisation de ces objectifs est évaluée, selon l’article 7 et l’annexe I du règlement, sur la base d’une série d’indicateurs de réalisation, de résultat, d’impact et de contexte ! Bien entendu, il est impossible de présenter la totalité de cette batterie d’objectifs et d’indicateurs. Ce qui est certain est que la PAC est bien devenue une politique présentant une dimension de plus en plus transversale, une politique à laquelle l’Union demande de « tout faire ». Comme le précise l’article 39 TFUE, elle doit favoriser l’obtention de revenus agricoles viables par les agriculteurs, mais elle doit également être orientée vers le marché, améliorer la position des agriculteurs dans la chaîne de valeur, préserver les ressources naturelles, participer à l’atténuation du changement climatique, contribuer à mettre un terme à l’appauvrissement de la biodiversité, répondre aux exigences de la société en matière d’alimentation et de santé, les articles 5 et 6 contenant plusieurs autres objectifs généraux ou spécifiques. A titre d’illustration, lors de l’adoption du règlement fixant le CFP 2021-2027, une Déclaration de la Commission indique que la contribution minimale attendue de la PAC 2021-2022 (période transitoire) est de 26 % en ce qui concerne les contributions à l’action pour le climat, et de 40 % pour les années 2023-2027.
2. Une politique agricole commune avec un système de paiements rénové
L’article 16 du règlement (UE) 2021/2115 relatif aux plans stratégiques nationaux «énonce les types d’intervention sous forme de paiements directs ». Ils prennent la forme de paiements directs découplés et de paiements directs couplés. Au nombre de quatre, les paiements directs découplés sont les suivants : a) l’aide de base au revenu pour un développement durable ; b) l’aide redistributive complémentaire au revenu pour un développement durable ; c) l’aide complémentaire au revenu pour les jeunes agriculteurs ; d) les programmes en faveur du climat, de l’environnement et du bien-être animal. Les deux paiements directs couplés, en faveur de certains secteurs ou de certaines productions, sont respectivement l’aide couplée au revenu et l’aide spécifique au coton. Déjà présente dans les paiements de la réforme précédente, l’aide redistributive complémentaire au revenu, aide en faveur des petits et moyens exploitants agricoles, devra représenter au moins 10 % de l’enveloppe nationale de paiements directs des Etats membres. L’article 17, « Plafonnement et dégressivité », prévoit que les Etats membres, qui choisissent d’introduire un plafonnement, réduisent de 100 % le montant des aides excédant 100 000 euros ; ils peuvent réduire de 85 % au maximum le montant de l’aide de base au revenu pour un développement durable excédant 60 000 euros à octroyer à un agriculteur pour une année civile.
L’annexe V, « Dotations des Etats membres pour les paiements directs (…) » précise que la France percevra chaque année de 2023 jusqu’à 2027 et les années suivantes la somme de 7 285 000 537 (prix courants). L’annexe XI, « Ventilation de l’aide de l’Union pour tous les types d’intervention en faveur du développement rural (2023 à 2027) (…) » prévoit quant à elle un montant de 7 297 200 350 (prix courants) pour les années 2023-2027.
3. Une politique agricole commune avec une nouvelle architecture écologique
L’ambition environnementale de la PAC 2023-2027 est plus élevée que précédemment, parce que la Commission européenne a proposé un nouveau modèle d’architecture écologique, reposant non plus sur des règles de conformité, mais axé sur la performance (voir notre analyse). Une conditionnalité renforcée va s’appliquer (la PAC inclura pour la première fois une conditionnalité sociale obligatoire à partir de 2025), et l’éco-régime succède au paiement vert. Les éco-régimes sont une nouvelle aide (facultative) pour les agriculteurs. Destinés à récompenser les pratiques favorables à l’environnement, les éco-régimes « devraient en règle générale couvrir au moins deux domaines d’action en faveur du climat, de l’environnement, du bien-être animal et de la lutte contre la résistance aux antimicrobiens » (Règlement (UE) 2021/2115, considérant 63). Comme le précise le Conseil, la nouvelle architecture écologique est « fondée sur les conditions environnementales auxquelles devront satisfaire les agriculteurs, et des mesures facultatives supplémentaires au titre des deux piliers ».
Selon les nouvelles règles, les agriculteurs devront consacrer au moins 4 % de leurs terres arables à des zones non productives. S’ils souhaitent inclure les cultures dérobées et les cultures fixatrices d’azote, le pourcentage devra s’élever à 7 %, avec 3 % de terres consacrées à des éléments non productifs ou laissées en jachère. A partir de 2025, les Etats membres devront consacrer au moins 25 % (20 % en 2023 et 2024) de leur budget d’aide au revenu aux éco-régimes, soit 48 milliards d’euros du budget des paiements directs. Deux niveaux de paiement sont prévus, un niveau standard d’un montant d’environ 54 euro/ha et un niveau supérieur autour de 76 euros/ha.
4. Les plans stratégiques nationaux : avenir de la PAC ?
Les plans stratégiques nationaux peuvent se définir comme le cadre commun de chacun des 27 Etats membres, permettant de mettre en œuvre l’aide de l’Union européenne, financée par le FEAGA et le Feader, dans le but de parvenir à réaliser les objectifs généraux et spécifiques de la PAC 2023-2027. Les Etats membres ont jusqu’au 31 décembre 2021 pour soumettre leur plan stratégique national à la Commission européenne, qui va ensuite les évaluer et transmettre ses observations aux Etats membres. Ils doivent s’appliquer à compter du 1er janvier 2023.
Pour faciliter l’élaboration des plans stratégiques nationaux, la Commission européenne a établi des recommandations non contraignantes qu’elle a adressées aux Etats membres, afin notamment de renforcer l’articulation entre les ambitions du Pacte vert pour l’Europe et la PAC. La stratégie agricole des Etats membres est par conséquent placée sous son contrôle. Cette évolution est certainement le prix à payer pour passer d’une approche fondée sur les moyens à une approche axée sur les résultats. La Commission devra se montrer vigilante, afin que n’émerge pas 27 politiques agricoles nationales au détriment d’une politique agricole toujours commune. Il est vrai que, depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, l’agriculture est classée dans la catégorie des compétences partagées Union européenne/Etats membres. Subsidiarité aidant, les Etats membres retrouvent logiquement une plus grande marge de manœuvre en matière agricole.