Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Двіржитловогобудинкупісляобстрілу.jpg

Pr. Patrick Meunier

Université de Lille

Centre de Recherche Droits et perspectives du Droit (CRPD) [ULR n°4487]

Equipe d’Etudes et de Recherches en Droit Public (ERDP)

Membre associé au CERISC (ENSOSP)

            « Faire face » … une mission, mais également un défi pour l’Union et ses Etats membres lorsqu’il s’agit de déployer des moyens civils pour protéger des populations meurtries par le déferlement de forces militaires. « Faire face » … en opposant à la barbarie toute l’humanité de ceux qui portent secours aux victimes d’une politique étatique d’un autre âge. La guerre en Ukraine a conduit l’Union européenne à s’engager en répondant à la violence par la force de ses valeurs et de ses principes. Confrontée au risque de désunion impliqué par les problématiques géostratégiques de l’offensive russe, l’Union s’est prémunie en recourant au principe matriciel de solidarité (art. 21 § 1 TUE) qui caractérise les sociétés de ses Etats membres (art. 2 TUE) et constitue une valeur de l’Union, selon les termes du préambule de la charte des droits fondamentaux. 

La réaction solidaire de l’UE s’est particulièrement manifestée par l’activation du mécanisme de protection civile de l’Union (MPCU) institué en 2013 (décision n° 1313/2013/UE) sur le fondement de l’article 196 TFUE. En effet, bien que destiné à faciliter la coopération entre les Etats membres, ce dispositif a vocation à être activé lorsque survient une situation de catastrophe d’origine naturelle ou humaine tant sur le territoire d’un Etat membre de l’Union que sur celui d’un Etat tiers. En l’occurrence, la catastrophe humanitaire de la guerre en Ukraine, dans un contexte de pandémie mondiale, présente la singularité d’avoir impacté simultanément un Etat tiers et des Etats membres de l’Union et nécessité une action solidaire reposant sur la conjonction de multiples fondements juridiques.

L’article 196 § 1 c) TFUE attribue à l’Union, dans le domaine de la protection civile, une capacité d’action internationale faisant écho à la vocation de l’UE, dans le cadre de ses relations extérieures, d’aider « (…) les populations, les pays et les régions confrontés à des catastrophes naturelles ou d’origine humaine » (art. 21 § 2 g) du TUE). Cette articulation normative donne un sens particulier à la mission confiée à l’UE de contribuer dans « ses relations avec le reste du monde (…) à la solidarité (…) entre les peuples » (art. 3 § 5 TUE). En impactant simultanément les Etats membres et un Etat tiers à l’UE, la catastrophe humanitaire de la guerre en Ukraine implique que l’assistance apportée relève conjointement de l’exercice des compétences internes et externes de l’Union. L’aide déployée à l’égard des Etats membres repose sur l’activation de la clause de solidarité de l’article 222 TFUE qui, à la demande des autorités politiques de ou des Etat(s) membre(s) concerné(s), permet de mobiliser des moyens nationaux mais également ceux de l’Union. Les mesures de soutien à l’Ukraine entrent dans le champ de l’action extérieure de l’Union (art. 3 § 5 et 21 § 2 g) TUE).

En l’occurrence, la distinction des bases juridiques s’avère relative lorsqu’elle s’apprécie sous l’angle de l’objectif ultime à atteindre qui consiste à apporter l’aide humanitaire aux populations meurtries par les atrocités et destructions résultant des opérations militaires russes. A ce titre, « porter assistance et secours aux populations des pays tiers, victimes de catastrophes (…) et (…) les protéger (…) » (art. 214 § 1 TFUE) constitue une mission que l’Union doit mener concomitamment sur le territoire ukrainien et au sein de ses Etats membres impactés. Cette synergie est inhérente à l’aide humanitaire, ainsi que le précise l’article 214 § 1 in fine TFUE en soulignant que « (…) Les actions de l’Union et des États membres se complètent et se renforcent mutuellement ». 

Désormais, l’Union est dotée de capacités opérationnelles (rescEU) qui complètent celles constituées par les Etats membres dans le cadre de la « réserve européenne de protection civile ».

Cette mise en œuvre dynamique des moyens nationaux et de l’Union consiste dans l’activation du mécanisme européen de protection civile dont l’envergure a notablement évolué (décision n° 2019/420/UE). Désormais, l’Union est dotée de capacités opérationnelles (rescEU) qui complètent celles constituées par les Etats membres dans le cadre de la « réserve européenne de protection civile ». L’ensemble de moyens capacitaires est couplé au Centre de coordination de la réaction d’urgence (ERCC), structure d’alerte qui est opérationnelle en permanence et dispose d’un système commun de communication et d’information d’urgence (CECIS). De nouveaux moyens enrichissent progressivement le mécanisme européen, tels que des capacités d’évacuation par voie aérienne (Medevac), une équipe médicale d’urgence, des équipements médicaux de soins intensifs ainsi que des abris permettant de garantir le déroulement des opérations de secours dans des conditions sanitaires appropriées. 

Afin de bénéficier des capacités opérationnelles de secours de l’Union et de ses Etats membres, dès le 15 février 2022, l’Ukraine a sollicité l’aide de l’UE, conformément à l’article 16 § 1 de la décision n°1313/2013/UE instituant le mécanisme européen. La demande d’intervention de l’Ukraine s’inscrit sous un prisme différent de celui décliné au sein de l’accord d’association conclu en 2014 qui n’intègre la thématique de la protection civile et la possibilité de former une demande d’assistance que dans la perspective de la protection de l’environnement (Titre V ; Chapitre VI de l’accord).

Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Medical_evacuations_of_Ukrainian_patients_(52131601046).jpg

Immédiatement, l’Union, mais également l’Allemagne, la Croatie, l’Italie, la Lituanie, l’Espagne, le Danemark et la Suède, acheminement, sous la coordination de la Commission, des fournitures essentielles à destination de la population civile ukrainienne. Au lendemain du début de l’offensive militaire russe, un deuxième Etat tiers à l’Union demande l’activation du mécanisme européen de protection civile afin de gérer les flux de réfugiés. A cet égard, la sollicitation de la Moldavie est effectuée dans le cadre de l’article 16 § 1 de la décision 1313/2013/UE mais, contrairement à l’Ukraine, relève également du champ d’application de l’accord d’association conclu avec l’Union, en 2014, qui comporte un chapitre relatif à la protection civile. Les 27 et 28 février, puis le 11 mars, la Slovaquie, la Pologne et la Tchéquie activent respectivement le mécanisme européen afin de coordonner les secours à destination des Ukrainiens cherchant refuge au sein de l’Union.

Selon les données recensées, au 17 juin 2022, par la Commission européenne, la guerre en Ukraine a conduit au déplacement de 7,1 et 7,7 millions de personnes respectivement à l’intérieur et en dehors du pays. Au regard de la situation, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a sollicité l’aide du mécanisme européen afin que des abris temporaires d’urgence soient acheminés en Ukraine. Le dispositif de protection civile a également permis l’expédition de plus de 40 500 tonnes de fournitures par le biais de ses plateformes logistiques, 653 évacuations médicales (Medevac) à destination de 12 Etats membres de l’Union et un Etat participant au dispositif européen ainsi que le déploiement de 10 équipes d’experts permettant d’évaluer la situation sur le terrain.

Cette mobilisation des capacités relevant du mécanisme de protection civile de l’Union (MPCU) conforte celle des moyens financiers alloués dans le cadre de l’aide humanitaire qui, au 17 juin 2022, représentaient 348 millions d’euros (335 millions pour l’Ukraine et 13 millions pour la Moldavie).

Les demandes d’activation du MPCU effectuées par l’Ukraine et la Moldavie sont actuellement fondées sur leur qualité d’Etats tiers à l’UE frappés par une situation de catastrophe, ce cadrage juridique est, cependant, susceptible d’évoluer. En effet, hormis les Etats membres de l’Union, le MPCU est ouvert à la participation des pays de l’AELE membres de l’Espace économique européen (EEE) et aux « autres pays européens », ainsi qu’aux Etats en voie d’adhésion, candidats et candidats potentiels. Participent ainsi au MPCU, l’Islande et la Norvège, en tant que membres de l’Espace économique européenne, ainsi que le Monténégro, la Macédoine du Nord, la Serbie et la Turquie, en leur qualité d’Etats candidats à l’UE. 

Le basculement du statut de candidats potentiels de la Moldavie et de l’Ukraine à celui d’Etats candidats à l’adhésion à l’Union, opéré par le Conseil européen des 23 et 24 juin 2022, permet peut-être d’envisager leur intégration progressive dans le mécanisme européen de protection civile en qualité « d’Etats participants » (art. 28 § 1 de la décision 1313/2013/UE). Au-delà de la dimension juridique, l’attribution d’un tel statut porterait le symbolique message de l’implication d’Etats tiers victimes de la guerre au sein d’un dispositif pacifique dont la Commission souligne qu’il « (…) apporte une preuve concrète de la solidarité européenne » (COM (2020) 220 final, pt. 1).