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Aurélien Antoine
Professeur de Droit public
Directeur de l’Observatoire du Brexit

La date du 31 janvier 2020 qui marque la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne n’a pas qu’une portée historique. Elle amorce une seconde période d’incertitudes tant il semble hasardeux de prédire quelle sera la nature des relations futures entre les deux parties. À quelques jours de l’ouverture officielle des négociations sur ce qui doit déterminer l’avenir des rapports entre l’UE et le nouvel État tiers, chaque camp fourbit ses armes avant de rentrer dans l’arène de la bataille diplomatique.

Pour Boris Johnson, l’objectif est de parvenir à un texte avant le 31 décembre 2020, terme de la période de transition fixée par l’accord de retrait. Deux motifs l’expliquent : en finir une bonne fois pour toutes avec un Brexit qui n’a que trop pollué la vie politique nationale ; et assurer que le Royaume-Uni dispose de la plus grande marge de manœuvre juridique possible afin de conclure des accords commerciaux avantageux avec d’autres partenaires. Selon le Premier ministre, la liberté retrouvée ne serait pas incompatible avec l’exclusion de droits de douane entre les deux rives de la Manche. À l’instar de ce qu’il s’était passé au début des discussions sur les termes de la sortie en 2017, les Britanniques s’orientent vers le cherry-picking : prendre ce qui les intéresse (l’absence de barrières douanières) et écarter ce qui les contraint (l’alignement sur les règles en matière environnementale, sociale et sanitaire notamment). Du fait de l’abandon du célèbre backstop entre les deux Irlande, la déclaration politique du 14 novembre renégocie à la baisse les conditions équitables (« level playing field » ou LPF) qui avaient été acceptées un an auparavant par Theresa May. En outre, la loi transposant l’accord de retrait en droit interne britannique ne prévoit aucun garde-fou garantissant le maintien d’un degré d’exigence élevé dans les domaines de la préservation de l’environnement, des droits des salariés ou des normes sanitaires. D’autres textes seront censés régir ces aspects sans que le Gouvernement ait, pour l’instant, révélé un programme précis. Malgré les intentions affichées en faveur d’une coopération étroite et d’un alignement réglementaire partiel avec l’UE, il n’est pas exclu que le Royaume-Uni souhaite à terme concurrencer les États membres en pratiquant le dumping social, environnemental et fiscal.

Depuis le début du mois de janvier, Ursula von der Leyen et Michel Barnier ont exprimé leur circonspection à l’égard des positions de Boris Johnson. Ils ont réaffirmé que l’Union européenne ne conclurait pas un accord approfondi sans un LPF ambitieux. La libre circulation des marchandises ne sera pas envisageable si les biens destinés à pénétrer le marché unique ne respectent pas scrupuleusement les normes qui le régissent. Par conséquent, si Boris Johnson souhaite obtenir prestement un premier accord excluant les tarifs douaniers, il devra accepter les conditions équitables fixées par l’Union européenne. La rupture nette entre les deux partenaires serait alors fortement atténuée, ce qui ne serait pas sans effet sur les négociations de traités de libre-échange que le Royaume-Uni compterait engager avec d’autres États. C’est la raison pour laquelle l’administration américaine reste prudente quant à la possibilité de parvenir rapidement à un accord commercial avec les Britanniques, même si les discussions pourront être entamées dès le 1er février. Boris Johnson devra arbitrer entre deux orientations. Soit il suit la voie du « moins disant » sanitaire, environnemental et social pour avoir les coudées franches. Soit il considère que la préservation de liens étroits avec l’Union européenne est indispensable dans la mesure où environ la moitié des échanges commerciaux britanniques (exportations comme importations) se font avec les 27 États membres. Dans une telle hypothèse, le Premier ministre n’aura pas d’autres choix que d’accepter un alignement réglementaire qui, de surcroît, est en partie acté par l’accord de sortie en ce qui concerne l’Irlande du Nord.

Boris Johnson doit faire face à une seconde série d’obstacles qui pourraient bien contrarier ses plans. La ratification d’accords commerciaux et sectoriels par l’Union européenne est soumise à des règles bien particulières. Le traité de libre-échange entre l’UE et le Royaume-Uni à venir aura un impact sur l’exercice des compétences propres de l’UE, mais aussi sur celles des États membres. Ces derniers devront donc ratifier chacun pour leur part et selon leurs arrangements constitutionnels le futur traité. Cette procédure à double détente pourrait ne pas parvenir à son terme dans le laps de temps imparti (On pourrait imaginer un recours à une application provisoire du traité, mais là encore, des contraintes procédurales doivent être satisfaites et les États membres peuvent y faire obstacle). Le seul moyen d’éviter un « no deal » et l’application des règles de l’OMC serait d’achever les négociations avant l’automne ou que la commission paritaire instituée par l’accord de sortie acte un report, et ce, avant le 1er juillet – ce qui serait contradictoire avec les promesses de Boris Johnson. Les suites du Brexit ont un léger goût de déjà vu, ce qui confirme que le premier Withdrawal Agreement était loin d’être le remède miracle à une sortie ordonnée du Royaume-Uni de l’Union européenne. Le 31 janvier 2020 n’est, au mieux, que le début de la fin.