Photo prise en février 2023, lors des la session de qualification aux fonctions de maître de conférences
Grégory Godiveau nous a quittés le 28 février 2024. Les premières pensées sont pour ses filles, son épouse, ses parents et sa famille. L’ensemble de ses amis est sous le choc. La lecture des premiers SMS et mails relayant l’information laisse sans voix. L’annonce a suscité, chez chacun d’entre nous, une émotion difficile à contenir ; mêlant un sentiment de sidération, de tristesse immense et d’incompréhension. Comment est-ce possible ; si jeune ?
Grégory venait d’accepter de devenir le trésorier de l’AFEE, à la faveur du changement de conseil d’administration de l’association en juin 2023. Comme d’habitude, il avait répondu présent pour exercer une mission au bénéfice de la collectivité universitaire. Parce que Grégory était ainsi, désintéressé et dévoué, incapable de compter son temps, que ce soit au service des priorités scientifiques qu’il avait choisies, de l’établissement qui l’a accueilli, de la communauté universitaire par son investissement au Conseil National des Universités (CNU).
Grégory est entré dans le monde la science juridique par la porte du droit communautaire. Lauréat du DEA à Bordeaux en 2001, recruté allocataire de recherche, il investit la discipline par l’angle du droit de la concurrence, auquel il a consacré sa thèse de doctorat, soutenue le 4 décembre 2006, Droit de la libre concurrence : la nouvelle approche de l’Union européenne. Il y défend l’idée d’une nouvelle vision économico-juridique de la régulation des comportements d’entreprise sur les marchés ; conséquence de l’adoption du règlement (CE) 1/2003 du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles relatives aux pratiques anticoncurrentielles. Par ce travail, il s’inscrit délibérément dans un créneau nouveau du droit public des affaires. Bien que pionnière, son analyse s’est imposée au landerneau du droit public et lui a valu d’être qualifié aux fonctions de maîtres de conférences ; pour ensuite être recruté en 2009 par l’Université de Caen, d’abord à l’IUT, puis à la faculté de droit et parallèlement être admissible à l’agrégation en 2010. Il a, par la suite, creusé le sillon de la recherche en droit de la concurrence, par la coordination de travaux faisant autorité, issus de colloques parfaitement organisés où chacun a pu apprécier son souci de perfection et combien il était attentif au fait que chaque participant soit accueilli dans les meilleures conditions. Parmi, les manifestations scientifiques dont il a été le maître d’œuvre, ressortent le colloque des 3/4 octobre 2014 Les dimensions de la sphère publique en droit de la concurrence (Rjcom. 2014, p. 433-486, Rjcom. 2015, p. 76-118, e-Concurrences 2015, p. 1-93) et plus récemment l’ouvrage La systématique des contentieux concurrence en Europe, issus du colloque des 14/15 novembre 2019. Parmi ses nombreux écrits, demeureront comme autant de références son étude sur les Relations économiques, libre concurrence et vulnérabilités en Europe ou encore sa contribution, sortant des sentiers battus du droit de la concurrence, au Liber amicorum Laurence Idot,: Articles 104 et 105 TFUE : Enquête sur les ressorts politiques et constitutionnels de dispositions dites « orphelines », qui dans la plus pure tradition du droit de l’Union, mêle droits institutionnel et matériel. Sur le métier de sa créativité, il avait mis depuis quelques mois en chantier un essai, sur la question des transitions procédurales en droit européen de la concurrence.
Au sein de l’université de Caen-Normandie, il a fait ses gammes à l’IUT où, avec un intérêt non dissimulé, il a ouvert les horizons du droit à des publics qui ne s’y destinaient pas. Il a investi dans le centre universitaire d’Alençon où il se déplaçait souvent, au sein duquel, il dirigeait la licence professionnelle « Métiers des administrations et collectivités territoriales », avec le souci d’offrir aux étudiant plus qu’une diplomation, une qualification ; rappelant par là même, combien peut être fort l’engagement des universitaires au service de l’aménagement du territoire (il est vrai qu’il avait fait ses premières armes de chargé de TD à Agen). A partir de 2014, ses enseignements se répartissent entre la Licence 2 et le master 2 dans des champs en correspondance avec ses recherches, droit de l’Union européenne, droit de la concurrence, droit public des affaires, droit public financier, fiscal et droit des collectivités territoriales. Il a plus particulièrement contribué au rayonnement du master en droit de la concurrence et de la distribution, qu’il a accompagné, entre autre chose, de l’écriture en collaboration avec Stéphane Leclerc du manuel de droit du marché intérieur de l’Union européenne, paru en 2016.
C’est aussi au plan national que Grégory s’est illustré par son sens de l’intérêt général, par sa présence durant huit ans au Conseil National des Université et plus encore à la vice-présidence de cette institution, qu’il a occupée entre 2019 et 2023. Il a été élu sur la base d’un programme, clairement autonome comme l’indiquait le nom de la liste qui l’a porté. Autonome, au sens de « non aligné » sur tel ou tel syndicat, ou tel ou tel mouvement, ou telle ou telle autre liste… Autonome, au sens où Grégory a clairement pris position en faveur de carrières plus valorisantes pour ses collègues maîtres de conférences, d’abord par la réforme des grilles indiciaires, ensuite par des possibilités de promotions au corps de professeur augmentées, enfin par une reconnaissance accrue des missions accomplies ; et tout cela, dans le respect de l’excellence. Au-delà de ce programme, il s’est tout simplement engagé dans la défense du CNU et surtout de son indépendance face à la poussée du localisme dans le recrutement des enseignants chercheurs ; dans le contexte difficile de l’adoption de la Loi de Programmation de la Recherche (LPR), fin 2020. Sa vice-présidence a fait l’unanimité, comme en témoignent l’ensemble des marques de sympathies exprimées ces derniers jours. Il est vrai qu’infatigable, il a toujours répondu présent et donné à l’institution, sans compter, avec loyauté et dévouement, sans parti pris, sans à priori ; faisant preuve, dans ses engagements, d’une fidélité à toute épreuve.
Pour les dernières lignes de ce texte, je prends la liberté de parler à la première personne du singulier. Après avoir dirigé le mémoire de DEA de Grégory, sa thèse de doctorat, l’avoir eu à mes côtés pour les travaux dirigés en droit du marché intérieur et au Département d’Etudes Juridiques d’Agen (DEJA), des liens forts d’amitié faite de complicités, de connivence, de confiance mutuelle, nous ont unis jusque dans notre dernière aventure commune en tant que respectivement Président et Vice-président du CNU entre 2019 et 2023. Quand je refais le film de chacune de ces circonstances, le mot générosité me vient immédiatement à l’esprit ; générosité dans l’effort, générosité dans le partage, générosité dans les sentiments ; générosité et sincérité tout simplement. Au revoir et merci Grégory.
Loïc Grard
Professeur de droit public
Université de Bordeaux