Guy Isaac fut un universitaire de défis, d’exigence, et de passion

Il fallait aimer les défis, à la fin des années 60, quand on était un jeune agrégé administrativiste, pour se tourner vers cette nouvelle discipline encore peu connue et guère reconnue qu’était le droit communautaire. Guy Isaac fut l’un des premiers à venir au droit européen depuis le droit public interne et non le droit international, quelques années après Jean-Claude Gautron ou Louis Dubouis, et peu avant Claude Blumann, cette généalogie disciplinaire n’étant pas indifférente quant à l’appréhension de la spécificité de l’intégration européenne. Nommé Professeur à Toulouse en 1969 après son agrégation en 1968, il y anima l’un des premiers centres de recherche en droit européen. C’est aussi par défi, selon son propre aveu, parce que la matière lui résistait par sa complexité  technique, qu’il devint l’un des tous premiers à étudier les arides finances européennes dont il fut rapidement le spécialiste incontesté. Président de la CEDECE de 1983 à 1985, après en avoir été un membre actif depuis sa création, il organisa en 1984 un colloque CEDECE qui restera dans les annales, par le nombre et la qualité des intervenants, et l’intérêt des communications, sur le thème des ressources financières de la Communauté. En 1983, il publie son « Droit communautaire général », premier manuel de grande ampleur en langue française, qui sera l’ouvrage de référence de plusieurs générations de communautaristes, y compris à l’étranger, notamment du fait d’éditions en espagnol. Pour reprendre les termes de Claude Blumann, l’ouvrage se caractérise par sa clarté, sa sobriété, et sa densité, ce qui était sans doute la marque pédagogique et scientifique de Guy Isaac. Homme de tous les défis, Guy Isaac explora successivement les responsabilités de Président d’Université, de Recteur, ou de Maire adjoint de la Ville de Toulouse, en charge des relations internationales et européennes, avec toujours la même autorité et la même passion.

L’exigence caractérisait aussi le Professeur Isaac, vis-à-vis des autres comme de lui-même. Respecté par ses étudiants, il était à la fois celui qui invitait à déjeuner un étudiant de licence venant lui poser des questions intéressantes après un cours, pour lui parler avec passion et lucidité de la carrière universitaire, et l’examinateur impitoyable dans un oral face à un dilettantisme qu’il ne pouvait ni admettre, ni comprendre. Son exigence vis-à-vis de lui-même le conduisait à une rigueur extrême, que l’on ressent en le lisant, et qui suscitait divers sentiments pour ceux qui ont pu l’entendre : sentiment d’admiration pour ceux qui suivaient ses enseignements, ou sentiment d’inquiétude pour les intervenants dans un colloque, lorsque Guy Isaac se levait pour poser de sa voix forte une question, qui était toujours « la » question, toujours incisive et d’un haut niveau scientifique.

« Très universitaire » selon sa propre expression, Guy Isaac, malgré ses nombreuses responsabilités, n’aimait rien tant que le débat, la discussion avec ses collègues – Jean-Paul Jacqué, Joël Molinier, Denys Simon,  Anne Rigaux, et Claude Blumann en ont témoigné – ou avec ses doctorants. Son « nous allons travailler » gourmand, quand il s’asseyait autour d’une table ronde avec l’un d’eux, exprimait tout le plaisir du travail scientifique et la réalité de la « communauté universitaire ». Au-delà du personnage d’autorité et de rigueur, s’exprimait alors un homme chaleureux, passionné, et enthousiaste face au débat d’idée.

Recteur de 1993 à 1999, et même s’il ne renonça pas totalement à écrire pendant cette période, c’est avec un immense appétit, aiguisé par cette forme d’abstinence forcée, qu’il retrouva l’Université et en quelques mois, multiplia les activités académiques. Fourmillant de projets scientifiques (dont il résulta son dernier article aux Cahiers de droit européen sur le « pilier communautaire de l’Union européenne, un pilier pas comme les autres ») et institutionnels (il avait alors le projet de créer à Toulouse une Ecole de droit européen), il enchaîna en quelques mois des missions et conférences au Canada puis dans son pays natal, le Maroc, avant de disparaître prématurément et brutalement dans la solitude d’une mission de formation de magistrats à Budapest.

Les évolutions, depuis les années 2000, de l’intégration européenne, de la structure même de l’Union, de sa constitutionnalisation, l’émergence d’un droit administratif européen, la déliquescence de la notion de ressources propres, autant de thématiques sur lesquelles on aurait aimé lire et entendre Guy Isaac dont l’empreinte sur le droit de l’Union européenne est à la mesure du vide qu’il a laissé.

Marc BLANQUET