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Louise FromontDocteure en droit – Chargée de recherches F.R.S. / FNRS – Université libre de Bruxelles

Selon les termes mêmes de l’article 151 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), l’Union et les États membres promeuvent le dialogue social. Considéré comme une pierre angulaire du modèle social européen, car indissociablement lié à l’amélioration des conditions de vie et de travail des citoyens européens, le dialogue social est protégé par l’article 28 de la Charte des droits fondamentaux (« Droit de négociation et d’actions collectives ») et rappelé au principe 8 du Socle européen des droits sociaux (« Dialogue social et participation des travailleurs »). Considérant, dans le Plan d’action sur le Socle européen des droits sociaux, que les partenaires sociaux ont « un rôle important dans l’action visant à atténuer les effets de la pandémie, à parvenir à une reprise durable et à gérer de futurs changements sur le marché du travail », la Commission avait promis de lancer une initiative visant à soutenir le dialogue social tant au niveau de l’Union qu’à celui des États membres. La nécessité de renforcer le dialogue social fut également rappelé dans l’engagement social de Porto en 2021.

La promesse a été tenue le 25 janvier 2023. La Commission a présenté une communication sur le renforcement et la promotion du dialogue social au niveau de l’Union, qui s’accompagne d’une proposition de recommandation du Conseil afin d’indiquer aux États membres comment ils peuvent renforcer le dialogue social et la négociation collective à leur propre échelle. Dans sa communication du 25 janvier, la Commission européenne relève les défis auxquels est aujourd’hui confronté le dialogue social au niveau national (I) et expose les actions que l’Union européenne peut entreprendre à son niveau (II).

I. Quand le pyromane devient pompier : le renforcement des partenaires sociaux au niveau national

Dans un premier temps, la communication de la Commission européenne expose les pressions qui pèsent sur les partenaires sociaux au niveau national et qui fragilisent leur implication dans le dialogue social pourtant essentielle « dans un monde du travail en mutation ». Plusieurs constats sont posés. 

Tout d’abord, la Commission relève que si le nombre d’affiliés des organisations représentatives des employeurs demeure stable, ce n’est pas que le cas des syndicats. La fragmentation du statut de travailleurs en une pluralité de statuts (via, par exemple, l’apparition de travailleurs de plateforme) a participé à un mouvement de désyndicalisation. En effet, les syndicats ne disposent plus d’une base relativement homogène partageant les mêmes préoccupations et, par conséquent, les mêmes revendications. Ensuite, la part des travailleurs couverts par des conventions collectives a chuté, passant, en moyenne au sein de l’Union, de 66 % en 2000 à 56 % en 2019. La négociation collective est de plus en plus décentralisée au niveau des entreprises, ce qui affaiblit le pouvoir de négociation des travailleurs et se répercute, en particulier, sur leur salaire de base. Enfin, la qualité et le degré de consultation des partenaires sociaux varient fortement d’un État membre à l’autre. 

Si cette situation s’explique principalement par des différences de procédures, de pratiques et de structures institutionnelles, les périodes de crise ont également tendance à affaiblir la participation des partenaires sociaux. Le Parlement européen soulevait dans une résolution de 2021 que « la participation des partenaires sociaux à l’élaboration des mesures en faveur de l’emploi a été moins importante pendant la crise de la COVID-19 que cela n’aurait été le cas en situation normale ». Dans le cadre de la soumission des plans nationaux pour la reprise et la résilience au titre de la Facilité pour la reprise et la résilience, la plupart des partenaires sociaux ont estimé que « leur degré réel de participation demeure largement insuffisant et que les procédures y afférentes ne permettent pas aux points de vue des organisations de la société civile de produire suffisamment d’effet ». 

« L’Union européenne possède une part de responsabilité dans le mouvement de désyndicalisation observé »

À travers les réformes préconisées dans le cadre du Semestre européen et des programmes d’assistance financière, l’Union européenne possède une part de responsabilité dans le mouvement de désyndicalisation observé ainsi que dans la diminution de la couverture des négociations collectives. Le Parlement européen, dans la résolution de 2021 précitée, affirmait « que le dialogue social a été affaibli et que la couverture des négociations collectives a chuté dans toute l’Union en conséquence du processus de décentralisation qui a suivi la crise de 2008 et des réformes du marché du travail menées dans certains États membres ». Confrontés à la problématique de la soutenabilité du modèle social européen, l’Union européenne et les États membres ont choisi d’exercer des pressions sur le droit du travail et, par un effet de levier, à affaiblir les syndicats. 

L’une de ces pressions a consisté à fragmenter le statut de travailleurs en recourant à des politiques de flexibilisation du marché du travail, telles que l’assouplissement des conditions de licenciement et la création de nouveaux types de contrats, en règle générale précaires (contrats d’apprentissage, contrat de « première embauche, etc.). En vue parfois de contourner le rôle des syndicats, diverses réformes ont poussé à la décentralisation de la négociation collective. Parmi de nombreux autres avertissements, une mission de l’Organisation internationale du Travail conduite en Grèce en 2011 pointait la modification législative permettant de confier à des « associations de personnes » la possibilité de négocier et de conclure des conventions collectives, introduite à la demande la « Troïka » (Commission européenne, Banque centrale européenne, Fonds monétaire international) : « the conclusion of “collective agreements” in such conditions would have a detrimental impact on collective bargaining and the capacity of the trade union movement to respond to the concerns of its members at all levels, on existing employers’ organizations, and for that matter on any firm basis on which social dialogue may take place in the country in the future ». 

Face à ces constats, la Commission rappelle, dans sa communication du 25 janvier, certaines initiatives déployées au sein de l’Union pour renforcer le dialogue social, que ce soit sur le plan législatif (comme la directive relative à des salaires minimaux adéquats), de la socialisation du Semestre européen et du renforcement des capacités administratives des partenaires sociaux, via le Fonds social européen plus(FSE+). La Commission poursuit en présentant sa proposition de recommandation au Conseil qui, une fois adoptée, fournira aux États membres des orientations sur les moyens de promouvoir le dialogue social et de renforcer la négociation collective. Ces orientations portent notamment  sur un environnement propice au dialogue social dans le respect de la liberté d’association et du droit de négociation collective, la garantie d’accéder aux informations nécessaires pour participer au dialogue social, la facilitation de la négociation collective ou encore la garantie d’un soutien institutionnel approprié.

« La pandémie de Covid-19 et les mutations du monde du travail, conséquences des transitions vers une économie numérique et neutre pour le climat ainsi que l’émergence de nouvelles formes d’emploi, rendaient une actualisation de ce cadre de référence nécessaire »

II. Le dialogue social au niveau de l’Union

Déjà en 2015, la Commission européenne et le Conseil avait annoncé un « nouveau départ pour le dialogue social ». À la suite des bouleversements apportés par la crise des dettes souveraines et de la création de nouveaux instruments, en particulier le Semestre européen, les institutions avaient compris l’importance d’associer plus étroitement les partenaires sociaux à l’élaboration et la mises en œuvre des réformes et politiques aux niveaux européen et national. Si le dialogue social est, selon la communication, de janvier 2023, « devenu un cadre de référence solide pour les négociations et les consultations bilatérales ou tripartites », la pandémie de Covid-19 et les mutations du monde du travail, conséquences des transitions vers une économie numérique et neutre pour le climat ainsi que l’émergence de nouvelles formes d’emploi, rendaient une actualisation de ce cadre de référence nécessaire. À cette fin, la communication de la Commission présente plusieurs mesures, qui sont rassemblées en quatre catégories, à mettre en œuvre au niveau de l’Union, tout en prévoyant également la promotion du dialogue social au niveau international, notamment via l’Organisation internationale du travail (OIT).

Premièrement, la communication prévoit de renforcer le dialogue social européen en modernisant ses structures interprofessionnelles et sectorielles. Au niveau interprofessionnel, la consultation des partenaires sociaux a mis en lumière le besoin d’un dialogue tripartite plus approfondi sur l’emploi et les questions sociales. Si plusieurs enceintes de dialogue existent déjà (le sommet social tripartite, le dialogue macroéconomique ou encore les réunions du comité du dialogue social), la Commission demande au Comité de l’emploi et au Comité de la protection sociale d’organiser plus régulièrement des échanges tripartites sur certains sujets, en impliquant tant les partenaires sociaux européens que nationaux. Elle s’engage elle-même à tenir des discussions tripartites ad hoc (sur, par exemple, les problématiques de pénurie de main d’œuvre et de compétences, et de transition juste) dans le cadre du comité du dialogue social. Au niveau sectoriel, deux grandes initiatives se distinguent. D’une part, la Commission souhaite moderniser le cadre du dialogue social sectoriel, éventuellement en modifiant sa décision 98/500/CE concernant l’institution de comités de dialogue sectoriel destinés à favoriser le dialogue entre les partenaires sociaux au niveau européen. D’autre part, il est envisagé de rendre le dialogue sectoriel plus inclusif, en incorporant en particulier les secteurs de l’économie qui ne sont pas encore représentés ou couvert par le dialogue sectoriel. Dans ce cadre, les partenaires sociaux sont invités à prendre les mesures nécessaires pour améliorer le taux d’affiliation des syndicats et leur représentativité.

Deuxièmement, la Commission aura pour priorité d’encourager et de soutenir les accords entre partenaires sociaux. Conformément à l’article 155 TFUE, les partenaires sociaux peuvent négocier entre eux des conventions collectives, dont la mise en œuvre peut être réalisée via le droit de l’Union. Dans ce cadre, la Commission s’engage à fournir à la demande des partenaires sociaux un soutien administratif et des conseils juridiques, notamment sur les éléments qui pourraient constituer un obstacle à une mise en œuvre de l’accord via le droit de l’Union, au regard des exigences de la Cour de justice. Parallèlement, la Commission accordera, dans les futurs appels à propositions de projets relatifs au dialogue social, plus de place aux projets qui prévoient la négociation d’accords autonomes, c’est-à-dire aux accords dont la mise en œuvre est assurée conformément aux procédures et aux pratiques propres aux partenaires sociaux et aux États membres. Les partenaires sociaux sont, quant à eux, invités à négocier et conclure davantage d’accords entre eux et à renforcer leurs capacités pour la mise en œuvre d’accords-cadres autonomes.

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Troisièmement, la Commission souhaite accroître la participation des partenaires sociaux à l’élaboration des politiques de l’Union. L’article 153 TFUE lui impose, en effet, de consulter les partenaires sociaux avant de déposer une proposition dans les domaines de la politique sociale qu’il énumère (conditions de travail, santé et sécurité au travail, etc.). Outre l’idée que les partenaires sociaux  privilégient des positions communes en amont de propositions de la Commission, la communication prévoit deux grandes actions. Tout d’abord, il s’agit d’améliorer la compréhension du dialogue social au sein même de la Commission et d’améliorer la cohérence dans la manière d’associer et de consulter les partenaires sociaux grâce à la création d’une fonction de coordinateur du dialogue social dans chacun de ses services. D’autre part, la Commission assurera une meilleure vue d’ensemble de la planification des propositions à venir afin d’aider les partenaires sociaux à élaborer leurs contributions et organiser leurs activités, tout en permettant aux partenaires sociaux interprofessionnels européens de se prononcer sur les priorités d’action en amont du programme de travail de la Commission.

La quatrième et dernière piste d’action de la communication de janvier 2023 concerne l’amélioration du soutien financier et technique de la Commission. Cette dernière prévoit la mise en place d’un réseau de recherche portant sur l’analyse et la promotion du dialogue social au sein de l’Union et au suivi de sa mise en œuvre, dans la mesure où, actuellement, peu d’informations sont disponibles sur les retombées du dialogue social au niveau national et sur la suite réservée par les partenaires sociaux aux textes adoptés au niveau de l’Union. Pour cette raison, la Commission demande également aux partenaires sociaux de diffuser les résultats du dialogue social au niveau national. En outre, la Commission apportera son soutien aux partenaires sociaux européens pour améliorer la transmission des connaissances sur les institutions du travail et les politiques européennes à leurs membres. 

Les initiatives présentées par la Commission européenne dans sa communication de janvier 2023 ont été relativement bien accueillies par les partenaires sociaux ; ces derniers soulignant que la mise en œuvre des initiatives devait être à la mesure des promesses qu’elles renferment (comme l’European Trade Union Confederation, l’European Federation of Building and Woodworkers et l’European Confederation of Independant Trade Unions).