Source : WikiCommons

Pr. Patrick Meunier

Université de Lille

Centre de Recherche Droits et perspectives du Droit (CRPD) [ULR n°4487]

Equipe d’Etudes et de Recherches en Droit Public (ERDP)

Membre associé au CERISC (ENSOSP)

En juillet 2023, le numéro d’appel d’urgence unique européen aura 32 années d’existence et pourtant sa mise en œuvre optimale pose toujours de nombreuses difficultés, notamment en France. Le « 112 » est originellement issu d’une recommandation adoptée, en 1976, par la Conférence européenne des administrations des postes et des télécommunications mais la faiblesse de son écho a conduit le Conseil des Communautés à « incorporer », en 1991, ce dispositif dans l’ordre juridique communautaire au moyen d’une décision fondée sur l’article 235 CEE. La consécration communautaire dotait le « 112 » de l’envergure juridique caractérisant la décision tout en démontrant qu’au regard de l’état d’évolution du fonctionnement de la Communauté, il était devenu nécessaire d’adopter les dispositions appropriées afin de réaliser l’un de ses objets. A l’époque, la CEE n’était dotée d’aucune compétence en matière de protection civile susceptible de justifier l’instauration d’un dispositif d’urgence européen, même si la mise en place d’une coopération communautaire en la matière de protection civile avait déjà fait l’objet, en 1987, d’une résolution du Conseil. Ainsi, dans le prolongement du discours institutionnel, l’instauration du « 112 » constitue l’une des premières manifestations tangibles de l’existence d’une « Europe » au service de la protection de ses citoyens. En effet, la création du 112 est justifiée par les déplacements professionnels et privés au sein de la Communauté dont l’intensification expose les personnes au risque de ne pas pouvoir être secouru rapidement du fait d’une méconnaissance des numéros d’urgence opérationnels au sein de chaque Etat membre. Sous ce prisme, l’existence d’un numéro d’appel européen unique permet aux citoyens européens de pouvoir exercer leur liberté fondamentale de circulation en Europe. Cette approche initiale, justifiant l’initiative européenne, s’est progressivement déclinée au sein même des Etats membres qui, au moyen du « 112 », rationalisent la gestion de l’urgence afin d’éliminer les difficultés impliquées par une démultiplication des numéros nationaux dédiés aux appels d’urgence. A cet égard, il est symptomatique de constater qu’une action rendue nécessaire, il y a plus de trente ans, au niveau communautaire demeure un enjeu d’envergure nationale pour certains Etats membres de l’Union. En effet, bien que la décision de 1991 oblige les Etats membres à mettre en œuvre le « 112 », ceux-ci peuvent maintenir les autres numéros d’appels d’urgence nationaux. Actuellement, le Danemark, l’Estonie, la Finlande, Malte, les Pays-Bas, le Portugal, la Roumanie et la Suède ont érigé le 112 en numéro d’appel principal d’urgence, contrairement aux autres Etats pour lesquels il n’est que complémentaire.

Le régime juridique du « 112 » repose sur la directive (UE) 2018/1972, établissant le code des communications électroniques européen adopté sur la base de l’article 114 TFUE (rapprochement des législations), ainsi que sur le règlement délégué (UE) 2023/444 de la Commission (décembre 2022), complétant la directive (UE) 2018/1972.

La directive décline le régime juridique du « 112 » (art. 109) en abandonnant la notion d’appel d’urgence (Directive 2002/22/CE « service universel » du 7 mars 2002) afin de retenir le nouveau concept de « communications d’urgence et numéro d’urgence unique européen ». Ce changement sémantique résulte de la prise en considération des évolutions technologiques qui, outre les appels fixes et mobiles, impliquent de traiter également les alertes émises par SMS, courriels, appels numériques, réseaux sociaux et objets connectés, notamment les systèmes embarqués « e-call ». Ces moyens de communication présentent l’avantage de pouvoir transmettre des photos et vidéos permettant aux services de traitement de l’alerte de procéder en temps réel à l’évaluation de la situation.

Le « 112 » est destiné à joindre gratuitement un service d’urgence que l’article 2, point 39, de la directive (UE) 2018/1972 définit comme celui « (..) reconnu comme tel par l’État membre, qui fournit une assistance immédiate et rapide en cas, notamment, de risque direct pour la vie ou l’intégrité physique de personnes, pour la santé ou la sûreté publique ou individuelle, pour la propriété privée ou publique ou pour l’environnement, conformément au droit national ». En d’autres termes, il s’agit des services de secours à la personne (aide médicale d’urgence), des sapeurs-pompiers ainsi que des services de police.

Afin de garantir le cheminement effectif des appels, les États doivent s’assurer que les fournisseurs de services de communications offrent un accès aux services d’urgence auprès du point de contact pour la sécurité publique (PSAP : Public Safety Answering Point) qui est le plus approprié. Ces points de contact consistent en des plateformes de gestion de l’alerte dont l’organisation diffère selon que les Etats membres ont opté pour le « 112 » comme numéro principal d’urgence ou ont maintenu la juxtaposition des numéros nationaux avec le « 112 ». De plus, en raison du maillage territorial des services d’urgence, le nombre de points de contact est variable selon les Etats membres. Afin d’éviter que les agencements nationaux n’entravent la poursuite de l’objectif recherché par le « 112 », la directive de 2018 oblige les Etats à s’assurer que « toutes » les communications d’urgence « reçoivent une réponse appropriée et soient traitées de la façon la mieux adaptée à l’organisation nationale des systèmes d’urgence » (art. 109 § 3). Afin d’éviter que les Etats ne s’exonèrent de leurs responsabilités en invoquant les difficultés résultant de la structuration de leurs dispositifs nationaux, la directive souligne qu’un appel d’urgence européen doit recevoir une réponse et être géré « au moins aussi rapidement et efficacement que les communications d’urgence adressées au(x) numéro(s) d’urgence nationaux, dans les cas où ceux-ci continuent à être utilisés » (art. 109 § 3).

Le traitement de l’alerte implique que le point de contact dispose d’un maximum d’informations, à cet effet la directive cerne plus particulièrement la question de la localisation de l’appelant qui doit pouvoir s’effectuer par le biais du réseau mais également au moyen de l’appareil mobile.

Les problèmes d’accès aux services d’urgence, de transmission de données et de localisation du donneur d’alerte ont été plus particulièrement envisagés par le règlement délégué 2023/444 adopté par la Commission, en décembre 2022, conformément à l’habilitation énoncée dans la directive de 2018.

Les Etats membres sont soumis à une obligation de résultat exigeant que les informations sur la localisation de tous les appelants au 112 soient effectivement transmises aux services d’urgence

Ces questions sont d’importance majeure, ainsi que l’a révélé et souligné la CJUE dans l’arrêt « AW e.a. c/ Lietuvos valstybé » (Aff. C-417/18 du 5 sept. 2019). En l’espèce, une dame avait été kidnappée, violée et brulée vive dans le coffre d’un véhicule à partir duquel elle avait donné l’alerte en composant le « 112 » une dizaine de fois, au moyen de son téléphone portable. Les équipements du centre de traitement de l’alerte n’avaient pas été en mesure d’identifier le numéro du téléphone et, par voie de conséquence, de localiser l’appel. L’enquête n’a pas permis de savoir si l’appareil était doté d’une carte SIM et pour quelles raisons le numéro n’était pas identifiable par le centre d’alerte.

La Cour a considéré que l’article 26 § 5, de la directive 2002/22/CE « impose aux États membres, sous réserve de faisabilité technique, l’obligation de veiller à ce que les entreprises concernées mettent gratuitement à la disposition de l’autorité traitant les appels d’urgence au numéro d’appel d’urgence unique européen « 112 » les informations relatives à la localisation de l’appelant dès que l’appel parvient à ladite autorité, y compris lorsque l’appel est passé à partir d’un téléphone portable non équipé d’une carte SIM ».

En l’occurrence, la Cour conforte sa jurisprudence qui l’avait déjà conduite à souligner que les Etats membres sont soumis à une obligation de résultat exigeant que les informations sur la localisation de tous les appelants au 112 soient effectivement transmises aux services d’urgence (CJUE 11 sept. 2008 « Commission/Lituanie », C‑274/07, pt. 40). Dès lors, la Cour considère que les alertes transmises via le « 112 » passées à partir d’un téléphone portable non équipé d’une carte SIM relèvent du champ d’application du droit de l’Union.

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Dans ce contexte jurisprudentiel, le règlement délégué de 2022 précise l’obligation, formulée par la directive de 2018, d’assurer un accès effectif aux services d’urgence au moyen du « 112 » en déterminant les mesures requises afin de garantir la compatibilité, l’interopérabilité, la qualité, la fiabilité et la continuité des communications d’urgence. Ces critères visent à assurer une localisation précise du donneur d’alerte mais doivent également permettre un accès sécurisé aux personnes handicapées.

Le règlement délégué de 2022 s’inscrit dans une perspective technologique en mutation permettant d’établir des connexions comportant un ensemble de données numériques aptes à fournir des informations vocales mais également textuelles ainsi que des vidéos en temps réel. Au regard des critères de précision et de fiabilité il importe de pouvoir localiser l’appelant à partir de l’appareil utilisé ou à partir du réseau. Le règlement a pour objectif de décliner un cadre européen harmonisé des critères de localisation. S’agissant d’un appel à partir d’un réseau fixe, les données classiques d’identité et de domiciliation ne posent pas de réelles difficultés. En revanche, le recours aux réseaux mobiles implique d’établir des paramètres capables de déterminer un « rayon maximal de zone recherche » à partir de l’appareil mobile et du réseau. A cet effet, le critère de précision est exprimé en mètres, y compris lorsque la localisation implique de décliner l’altitude ou la verticalité. Ces éléments attestent de l’importance de la géolocalisation des appareils mobiles. De même, l’acheminement des communications d’urgence vers le point de contact le plus approprié doit pouvoir être assuré sans discontinuité afin de pouvoir garantir la prise en charge des alertes de personnes circulant sur le territoire de plusieurs Etats membres. Dans cette optique, le règlement délégué précise que les Etats coopèrent afin d’établir des « exigences communes en matière d’interopérabilité » afin que les points de contact « 112 » puissent être joints, dans l’ensemble de l’Union, au moyen d’une application mobile (art. 6).

Le règlement agence un mécanisme de contrôle destiné à évaluer les « performances de l’acheminement » vers les points de contact de chaque Etat membre. En outre, une clause de « rendez-vous », fixée au 5 décembre 2023, précise que les Etats transmettent à la Commission une « feuille de route » indiquant les modalités requises afin que leurs points de contact puissent gérer les communications « 112 » en ayant recours aux technologies numériques. A cet effet, les Etats sont également priés de décliner un agenda indicatif quant à la mise à niveau technologique de leurs systèmes nationaux.

A l’évidence, le temps s’accélère au regard, notamment, de l’intensification des phénomènes catastrophiques naturels auxquels l’Union est exposée. Il importe que les Etats puissent être effectivement dotés de systèmes harmonisés opérationnels aptes à évaluer rapidement et précisément l’ampleur des situations d’urgence afin d’engager les moyens les plus appropriés.

En France, l’adoption de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (LOPMI – 24 janv. 2023) a permis l’institution d’un établissement public d’Etat chargé d’assurer la mise en œuvre et l’exploitation du réseau de communications électroniques des services mutualisés de secours et de sécurité. Ainsi, dès le 30 mars 2023 a été créée par décret l’Agence des communications mobiles opérationnelles de sécurité et secours (ACMOSS). Cette architecture juridique s’inscrit dans la lignée de la mise en œuvre du programme Réseau Radio du Futur (RFF) destiné à doter les services d’urgence d’équipements numériques afin qu’ils puissent être interconnectés et en relation directe avec les centres de commandement tout en disposant des informations transmises en temps réel par les acteurs de terrain mais également par les personnes ayant contacté les services d’urgence. Le couplage des communications d’alerte, tel le « 112 », et des connexions entre les divers services impliqués offre de nouvelles perspectives quant à la protection des personnes. Une généralisation de ces mécanismes de signalement et de traitement de l’alerte au sein de l’Union deviendra très certainement incontournable au regard de l’exposition croissante des Etats membres de l’Union aux risques catastrophiques … tel est le SOS d’un Européen potentiellement en détresse.